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Martine Durin

Agricultrice


«Ne parlez pas de la crise mais des crises». Avec la chute des cours du lait et de la viande, puis des mois de sécheresse et enfin l’arrivée de la fièvre catarrhale ovine, les éleveurs accusent le coup, mais avec de plus en plus de mal.  

Ils sont venus au Sommet de l’Elevage, même sans leurs animaux, histoire d’être ensemble, rassemblés dans l’adversité pour rappeler qu’aujourd’hui, en France, tous les deux jours, un agriculteur se suicide (chiffres de l'Institut de veille sanitaire).

Jacques Chazalet

Président du Sommet de l'Elevage

Une crise financière


« J’avais foi, j’avais goût. Aujourd’hui, je n’ai plus foi, je n’ai plus goût », lance avec beaucoup d’émotion dans la voix Lionel Alafort. Ce ne sont pas ces animaux qui sont en cause mais « la conjoncture et la politique agricole ». Philippe Falvard est dans le même état d’esprit. Il dit avoir choisi ce métier mais ne pas aimer la manière dont on lui impose de le faire aujourd’hui. « Je ne suis pas chasseur de primes. Je ne suis pas là pour remplir des papiers à longueur d’années pour pouvoir toucher des subventions », martèle-t-il. A ses yeux, le problème c’est le système dans lequel on a attiré les éleveurs. « Les prix de ventes des animaux ou de matières telles que le lait sont tellement bas que les éleveurs ne peuvent pas vivre sans les aides ».

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La Crise 

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Une crise morale

A la tête du Sommet de l’élevage, Jacques Chazalet évoque « une crise très grave pour l’élevage ». Le président du rendez-vous clermontois insiste sur « élevage ». Il souligne également une crise morale avec un sentiment d’abandon ressenti par la profession. Mais cette crise est-elle vraiment nouvelle ? « Non », répond sans hésiter Philippe Falvard. Selon cet éleveur de bovins installé à Saint-Angel (Puy-de-Dôme), « elle dure depuis 50 ans ». « Depuis 50 ans, on mène la même politique », explique ce militant de la Confédération Paysanne. Il déplore une économie basée uniquement sur le « business » et qui ne tient pas compte de l’élevage. « On n’en a rien à foutre de la santé animale », regrette  amèrement l’homme qui voit ses confrères devenir chaque jour un peu plus dépités. Et puis il y a les jeunes qui ont la vocation mais qui sont déjà fragilisés avant même d’avoir terminé leur installation. « Ce qui pêche, c’est le manque de lisibilité à long terme mais à court terme aussi », pour Julien Bard, un jeune éleveur de porcs en Haute-Loire.

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Lionel Alafort

Eleveur


A cela s'ajoute l'arrivée massive de vaches laitière dans la filière viande…

Le cheptel laitier, un de ses coproduits, c'est de faire de la viande avec les vaches en fin de carrière ou avec les veaux que font les vaches laitières chaque année. Pour ces éleveurs, ce n'est pas le produit essentiel, mais le problème c'est que la volatilité sur la viande et sur les céréales se connait aussi beaucoup dans le lait. La valorisation du lait, qui avait été très élevée début 2014, est très basse aujourd'hui. Les éleveurs se disent "bon ben je vais sacrifier des vaches", ce qui vient aggraver le marché de la viande bovine qui est à la fois un marché fourni par des éleveurs spécialisés et puis très largement maintenant, en France et encore plus en Europe, par des éleveurs laitiers.

Philippe Falvard

Eleveur

Pour ne rien arranger, on consomme moins de viandes…

En outre, il y a des phénomènes culturels, on va le dire comme ça, avec une érosion de cette consommation française de viandes bovines qui est passée, en 10 ans, de 18 kilos par habitant et par an à 16 kilos. Il y a également un changement de nature de cette consommation puisque pratiquement la moitié de la consommation de viande bovine est faite sous forme de steaks hachés. Alors distinguer, au sein d'un steak haché, ce qui provient d'une vache à viande, une production plutôt de haut de gamme, d'une production qui vient de vache de réforme laitière, ça devient très compliqué.

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Il faudrait adapter la production aux marchés, mais la production française est-elle armée pour cela ?

Les producteurs sont soumis aux marchés tempétueux, aux grands larges. En plus, on parle d'accord avec les Etats-Unis pour favoriser l'importation de viandes... On est en pleine libéralisation des marchés, ils sont sur des cycles longs et, pour l'instant, ils se disent "Hou la la ! Dans la tempête, ce n'est pas le moment de changer de cap", c'est ça qui rend les choses très compliquées. Pour aller vers des marchés différents de ceux qu'on connaissait auparavant, il faudrait qu'ils aient une certaine assurance que les investissements nécessaires soient payants d'ici 5, 6 ou 7 ans. Et ça c'est une vraie politique de filière. Mais, pour l'instant, cette filière reste très conflictuelle, à raisonnement hebdomadaire et ce n'est pas comme ça qu'on peut faire changer de cap à ce qu'on pourrait assimiler à un gros paquebot, un gros cargo.

Que faut-il pour sortir de la crise ?

Une vision à peu près claire des nouveaux marchés qu'on va cibler, parce que le monde change. Et puis un accord globale de cette filière pour que chacun puisse en vivre. Et, aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le cas quand on voit les revenus des éleveurs bovins viande. Cette année, ils vont être encore 20% inférieurs à ce qu'ils étaient l'année dernière, ils sont parmi les plus bas des agriculteurs. Franchement, c'est aux alentours, selon les types, de 12 000 euros par agriculteur à temps plein, avant même d'avoir payé les charges sociales, c'est quand même très peu alors qu'on y met des capitaux considérables et beaucoup de temps de travail.

Faut-il être pessimiste ou optimiste ?

Moi, j'ai l'impression, et ça n'est pas arrangé par la FCO qui bloque des marchés à l'exportation qui se portaient plutôt bien, qu'on est pessimiste immédiatement. Je pense qu'à moyen terme il faut être optimiste si on veut qu'il y ait toujours une filière "bovins viande". N'oublions pas que, selon une récente étude, c'est 250 000 emplois directs et indirects en France, sans même compter les emplois induits comme dans la Creuse, par exemple, où une large part de l'économie locale dépend de l'élevage "bovin viande".

Comment vivez-vous cette crise ?

On ne sait jamais quand elle va se terminer. On a la crise de la FCO, la crise laitière avec des prix en berne, mais on a toujours espoir que ça se redresse. On est obligés d'avancer.

Comment se traduit-elle concrètement cette crise pour un éleveur de prim'holstein ?

Ce que je crains, c'est que cette chute du nombre des exploitations se poursuive. On nous demande d'être de plus en plus performants et on est en train de laisser derrière certains petits producteurs qui auraient encore peut-être leur place, mais on ne la leur laisse pas. Aujourd'hui, nos producteurs ne sont pas capables de se rémunérer. Ils puisent dans leur trésorerie et leur capital d'investissements pour pouvoir subvenir à leurs besoins. On voit des gens qui arrêtent. C'est dramatique.

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Comment expliquer la crise que traverse l'élevage français ?

On est dans des changements fondamentaux des marchés, pour l'élevage bovins viande en particulier. Les marchés préférentiels, c'était l'Italie, la Grèce. On connait la situation économique de ces pays et, bien évidemment, par effet domino, l'élevage bovins viande français est impacté. La deuxième chose, c'est la volatilité, à la fois la volatilité des prix des intrants, on parle là du pétrole, des aliments du bétail, et la volatilité des prix des animaux finis qui devient extrême alors qu'on est dans des productions de cycles très longs, 4 à 5 ans. Comment l'éleveur perçoit-il les signaux du marché et comment réagit-il, sachant que deux ans après qu'il ait pris ses décisions, les rapports de prix peuvent être complètement différents ? C'est très compliqué aujourd'hui pour un éleveur bovins viande de faire face à des marchés aussi volatiles alors même que la PAC n'assure plus de régulation de ces marchés comme c'était le cas auparavant.

"L'agriculture familiale ne sera plus là demain, je pense..."

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Le modèle français est-il encore viable ?

Bonne question (rires). Oui, il est viable mais il va subir quelques évolutions. L'agriculture familiale ne sera plus là demain, je pense... C'est ça qui est dommage. On est concurrencés par les autres pays européens, avec des grandes structures. On devient des chefs d'entreprises, plus des chefs d'exploitations. On est obligés de gérer au quotidien des choses qui étaient banales pour nous autrefois et qui ne le sont plus aujourd'hui. Aujourd'hui, on commence nos journées au bureau avant d'aller s'occuper des animaux.

Quelles sont les solutions à mettre en place pour sortir de la crise ?

Il faut être performant. Au niveau de la production laitière, ceux qui s'en sortent le mieux sont ceux qui sont autonomes au niveau de leur exploitation. C'est-à-dire qu'ils produisent le maximum de la ration de leurs animaux sur l'exploitation. C'est ça l'avenir. On va être obligés d'être moins intensifs, ça changera d'ailleurs notre image auprès des consommateurs, mais il faudra des grands troupeaux dans de grosses exploitations. Avec le prix des intrants constamment à la hausse et le prix du lait qui baisse, au bout d'un moment, ça casse.

Ces derniers mois, il y a eu de nombreux rendez-vous entre le Ministre de l'Agriculture et les représentants syndicaux. Avez-vous le sentiment que ça a changé quelque chose ?

Non. On voit quelques prémices mais... non... On est toujours en crise. On nous avait promis un prix du lait à 340 euros sur les six derniers mois (ndlr : de 2015), on en est loin. Je pense qu'on ne le verra pas arriver sauf si le marché mondial se redresse.

On a vu des manifestations au début de l'été, ça peut revenir vite ?

Les agriculteurs, et surtout les producteurs laitiers, sont à cran. Quand vous avez des prix de revient au-dessus du prix du marché, que vous perdez de l'argent tous les jours, c'est sûr que si ça ne se redresse pas rapidement, on va revoir d'autres manifestations... Elles pourraient être plus violentes que celles vues récemment.

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